Ne pas se cantonner au PIB

11 juin 2021

Frank Maet
Senior Macro Economist @Belfius


Véronique Goossens
Chief Economist @Belfius

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  • Une tendance croissante se manifeste pour utiliser des alternatives au PIB lorsque l’on mesure les prestations économiques.
  • En tant qu’indicateur de la prospérité au sens large, le PIB ne suffit pas. Il ne tient pas compte de la répartition inégale de la croissance économique et de ses effets néfastes.

Depuis le début de la crise du Covid-19, nous sommes chaque jour inondés de statistiques. L’évolution des infections, le nombre de lits libres dans les hôpitaux ou de vaccins déjà distribués. Lorsque l’on mesure l’activité économique, des indicateurs très fréquents sur la mobilité et l’utilisation de l’internet pendant la pandémie ont déjà prouvé leur utilité. Les économistes les utilisent pour réagir rapidement et suivre l’évolution du PIB (produit national brut). Mais le PIB est lui-même un indicateur imparfait pour mesurer la prospérité d’un pays. C’est même ce qu’a déclaré l’inventeur du concept, Simon Kuznets, lorsqu’il l’a développé à la fin des années trente du siècle dernier.

Le PIB est la somme de la valeur totale des biens et des services produits par un pays pendant un trimestre ou une année. Il calcule ce que nous achetons et vendons. Par exemple, si un boulanger fait un pain et le vend dans son magasin, il contribue au PIB. Mais si ce même boulanger cuit un pain pour sa famille, il ne se retrouve pas dans le PIB (seuls les ingrédients achetés comptent). De même, le bénévolat, l’aide à domicile et les services gratuits via internet ne sont pas pris en considération. Dans ce cadre, l’innovation comporte des défis supplémentaires. L’économie collaborative, par exemple, amène les consommateurs à faire de plus en plus de commerce entre eux. Cette forme d’activité économique se traduit très difficilement en chiffres du PIB. À l’avenir, ce problème s’amplifiera, maintenant que la pandémie accélère des tendances comme la digitalisation.

Non seulement des activités économiques ne sont pas reprises dans le PIB, mais il y a aussi des activités qui font augmenter le PIB mais qui, à long terme, sont mauvaises pour notre prospérité. Le dérèglement climatique dû aux émissions de CO2 en est un exemple. La pollution atmosphérique et des sols, la hausse du niveau des mers et une dégradation de la biodiversité sont considérées comme des coûts externes qui sortent du cadre du PIB. Ces éléments sont toutefois d’une importance cruciale pour le bien-être de la société à plus long terme. Une autre lacune du PIB est la répartition de la croissance économique. Le PIB est souvent calculé par tête d’habitant mais ce chiffre est une moyenne qui ne montre pas où aboutit la croissance. C’est ainsi que l’impact économique du Covid-19 est réparti de manière très inégale dans la société, mais cette constatation ne peut être déduite des rapports officiels sur le PIB. De même, la concentration croissante de la part de marché et de la puissance économique aux États-Unis d’un nombre trié sur le volet de géants technologiques ne sont pas visibles dans l’approche classique du PIB.

Les décideurs politiques ont donc besoin d’une nouvelle série de critères pour mesurer la prospérité au sens large. Ces dernières années, une kyrielle d’indicateurs alternatifs de la prospérité ont été développés, dont le Human Development Index (HDI) des Nations unies, le plus connu. Le HDI mesure par pays ses prestations en matière de santé, enseignement et niveau de vie et permet ainsi de comparer le développement des pays. D’autres exemples d’indicateurs de la prospérité au sens large sont le Better Life Index (OCDE) et le Happy Planet Index, qui tiennent compte de l’empreinte écologique et de l’inégalité économique. Bien entendu, ces indicateurs ont également leurs défauts. Différentes dimensions de la prospérité sont casées dans un seul indicateur, ce qui peut engendrer des discussions sur la pondération à privilégier. C’est la raison pour laquelle certains experts donnent la préférence aux tableaux de bord. Ils présentent souvent plus d’indicateurs, mais permettent aux investisseurs de mesurer eux-mêmes leur importance relative. Un exemple connu est les 17 objectifs de développement durable (SDG - Sustainable Development Goals) fixés par tous les États membres des Nations unies.

Par le passé, le PIB a déjà souvent prouvé son utilité et ne passera pas directement à la trappe. Mais comme il se limite à la croissance économique pure, cet indicateur ne suffit pas pour mesurer notre bien-être général. Dans un article précédent, nous avons déjà abordé l’impact énorme sur tous les aspects du bien-être (voir Les coûts cachés du Covid-19). Compte tenu des nombreux défis auxquels nous-mêmes et les générations suivantes serons confrontés, les décideurs politiques et les investisseurs ont besoin d’indicateurs supplémentaires qui donnent une meilleure vision de la manière dont nous nous portons. Si le monde change, il faut également changer la manière de mesurer le progrès.

Références
http://hdr.undp.org/en/content/human-development-index-hdi
http://www.oecdbetterlifeindex.org/
http://happyplanetindex.org/
https://www.sdgs.be/nl/sdgs


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