Vers une grande vague de démissions chez nous aussi?

25 novembre 2021

Frank Maet
Senior Macro Economist @Belfius

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  • Vers une grande vague de démissions chez nous aussi ?
  • Aux États-Unis, de plus en plus de personnes démissionnent, ce qui crée des tensions sur le marché du travail.
  • À la suite de la pandémie de Covid-19, les travailleurs européens sont également plus nombreux à changer de travail.

Dans le monde entier, un nombre croissant de collaborateurs quittent délibérément leur emploi. Comme c’est souvent le cas pour les tendances internationales, les États-Unis donnent le ton. Depuis le printemps, le nombre d’Américains qui quittent leur travail de leur plein gré ne cesse de gonfler mois après mois. En septembre, il s’agissait de 4,4 millions de travailleurs, soit trois pour cent de la population mondiale. C’est le niveau le plus élevé en vingt ans. Certains experts pensent que ce phénomène bouleversera le marché du travail au cours des prochaines années. Les économistes parlent même de « La Grande Démission », la grande vague de départs, par analogie à « La Grande Dépression » au siècle dernier et à « La Grande Crise financière » de 2008.

Cette tendance est en marche depuis longtemps mais l’épidémie de Covid-19 a indubitablement accéléré les choses. La dégradation de l’économie provoquée par la pandémie en 2020 a entraîné une avalanche de licenciements aux États-Unis, avec la disparition de plus de 25 millions d’emplois et un taux de chômage atteignant un pic de 14,8 pour cent. Un an plus tard, la situation a radicalement changé. La réouverture de l’économie met le marché du travail sous haute pression, avec un recul du chômage à 4,6 pour cent en octobre et près de 11 millions de jobs vacants. Le grand nombre de démissions sur le marché du travail américain entraîne une guerre des talents et génère une forte pression haussière sur les salaires et partant, une hausse rapide de l’inflation.

La fuite massive du marché du travail ne se limite toutefois pas aux États-Unis. Une vaste enquête réalisée par Microsoft indique que 41% des travailleurs envisagent actuellement de quitter leur emploi. Combinée au redressement économique, cette tendance risque d’engendrer une pénurie croissante de personnel en Europe également. Au Royaume Uni; déjà confronté à une fuite de travailleurs étrangers causée par le Brexit, plus d’un million de postes restent vacants. En Allemagne, plus d’un tiers des entreprises déplorent déjà un manque de personnel qualifié. Les secteurs les plus touchés sont le commerce de détail, les soins de santé, la technologie et la construction.

Dans notre pays, les chiffres récents publiés par le groupe de services RH Acerta ont révélé qu’un nombre plus élevé de Belges décidaient eux-mêmes de quitter leur emploi cette année. Au cours des neuf premiers mois de 2021, le nombre de contrats de travail à durée indéterminée auxquels il a été mis fin a augmenté de 17 % comparé à la période précédant le Covid-19, la grande majorité de ces fins de contrats survenant à l’initiative du travailleur. Vu le nombre élevé d’emplois vacants, les employeurs sont moins prompts à procéder à des licenciement secs. Ce sont surtout les jeunes travailleurs qui renoncent eux-mêmes à leur contrat fixe. Les travailleurs de plus de 45 ans sont plus accrochés à leur emploi et prennent moins l’initiative de partir.

Il est logique que le marché du travail bouge plus lorsque la conjoncture s’améliore mais le mouvement de reprise post-Covid n’explique pas tout. Les enquêtes européennes qui sondent les raisons d’un changement d’emploi révèlent que les augmentations salariales restent le motif principal. Toutefois, presque autant de personnes quittent leur entreprise parce qu’elles ont trop souvent souffert de stress et de burn-out l’an dernier. Outre le stress accru causé par l’épidémie, plus de gens ont également reconsidéré leur plan de carrière et de vie. Pour de nombreux travailleurs, la pandémie a apporté de nouveaux avantages. La possibilité de faire du télétravail, la réduction du nombre de trajets domicile-lieu de travail et l'autonomie accrue entrent à présent en ligne de compte dans le choix d’un employeur.

Les experts du marché du travail doutent que la ‘Grande Démission’ touchera autant la zone euro que les États-Unis. Le marché de l’emploi européen diffère profondément du marché américain où les changements d’emploi et de carrière sont monnaie courante. La mobilité sur les marchés du travail européen est bien inférieure et les contrats temporaires auxquels on peut mettre fin facilement sont moins répandus. L’approche menée durant la crise du Covid a également été sensiblement différente. En Europe, de nombreux pays ont opté pour une réduction du temps de travail et une mise au chômage temporaire afin de limiter autant que possible la perte d’emplois. La pénurie sur le marché du travail et le risque d’inflation salariale excessive sont dès lors moins marqués dans la zone euro qu’aux États-Unis. Pour l’instant en tout cas. Si la vague de démissions volontaires s’installe également chez nous, la guerre des talents et les exigences salariales se renforceront encore.


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