12 août 2022

Nicolas Deltour

Nicolas Deltour
Head of Investment Strategy

Le monde libre n’a pas encore réussi à résoudre le conflit ukrainien, et voilà qu’une autre tension géopolitique pointe, avec des conséquences potentielles d’une toute autre dimension.


Si Taiwan ne pèse qu’1% de l’économie mondiale, il représente plus d’un tiers des capacités mondiales de production de puces électroniques. Et plus de 90% des puces avancées.


Une société en particulier tient les rennes de cet élément clef de nos économies : Taiwan Semiconductor Manufacturing Company. En abrégé : TSMC.

Quatre lettres qui font trembler le monde. TSMC est, de très loin, le plus gros producteur mondial, et contrôle le marché.

Si TSMC s’arrête, le monde s’arrête. TSMC est crucial pour les appareils industriels chinois, américains et européens. L’industrie automobile européenne en particulier est très exposée.

Sachant qu’il faut deux à trois ans pour construire une usine de production de puces, et des milliards, voire dizaine de milliards d’euros, et sachant que l’arrêt de TSMC pourrait générer une pénurie pour 30% du marché, le double choc économique – blocage industriel et flambée inflationniste – serait encore bien plus dense et global que les conséquences du conflit en Ukraine.

Voilà pourquoi les marchés sont si nerveux à chaque nouvel exercice militaire dans le détroit de Formose.


L’autre source inflationniste


C’est maintenant bien connu ; l’inflation de nos jours est une inflation par l’offre (pénuries), bien plus qu’une inflation par la demande.

Les chocs inflationnistes provenant des pénuries liées au conflit en Ukraine et des « lock downs » industriels provoqués par la pandémie de Covid sont encore frais dans nos mémoires.

Mais on avait peut-être déjà oublié que l’inflation avait aussi été alimentée par un choc dans nos chaînes d’approvisionnement. En mars 2021, la canal de Suez était bloqué par le plus grand porte-conteneurs du monde : l’Ever Given. Des centaines de navires avaient alors été immobilisés de part et d’autre du canal, où transite 12% du commerce mondial.


Le sort pourrait s’acharner puisque le navire en question est exploité par Evergreen, société… taiwanaise, et figurant parmi les plus importantes au monde. Taïwan est le 4ème centre de manutention de conteneurs au monde. Trois des 10 plus grandes compagnies maritimes mondiales sont taiwanaise (Evergreen Line, Yang Ming et WanHai Lines), et représentent une flotte totale de 500 porte containers. C’est une des principales portes de l’Asie. Et du monde.

Si Taipei subit le même sort qu’Odessa, c’est tout l’océan Pacifique, voire plus, qui est en lock down. Les pénuries industrielles qui en découleraient, bien au-delà des puces électroniques, seraient sans précédent.


Chacun a trop à perdre.


C’est probablement dans cette importance stratégique que se trouve le salut de l’île.


Ni l’Amérique ni la Chine n’ont intérêt à ce que les tensions montent davantage.


L’économie américaine, tirée par son puissant secteur technologique, est ultra-dépendante de l’activité de la région. Et le gouvernement chinois, au-delà des musculations nationalistes dans les discours, a bien du mal à relancer son économie, à la veille d’échéances électorales déterminantes. Il ne peut se permettre d’affaiblir ce qui n’est déjà plus un miracle chinois.

L’Europe est encore plus exposée, car elle n’est plus une puissance technologique et dépend presque intégralement des autres blocs en la matière. Mais l’Europe n’a aucun poids de ce côté du monde, et assistera, avec nervosité, mais impuissance, à l’évolution des événements.

Une fois de plus, le monde dépendra de la capacité des potentiels belligérants à regarder leurs vrais intérêts plutôt que leurs pulsions, ou leurs égos.


En coulisse, un spécialiste du sujet nous disait, sur un ton rassurant : ‘heureusement, Xi n’est pas Vladimir’. Les derniers jours lui ont donné raison, et les marchés semblent y trouver un vrai soulagement.



Ce document, rédigé et publié par Belfius Banque, donne la vision de Belfius Banque sur les marchés financiers. Il ne contient pas de conseil en investissement personnalisé, pas de recommandation d’investissement, ni de recherche indépendante en matière d’investissement. Si vous êtes à la recherche de conseils en investissement personnalisés, vous pouvez vous adresser à votre conseiller financier qui se fera un plaisir d’examiner avec vous les effets éventuels de cette vision sur votre portefeuille d’investissements personnel. Les chiffres mentionnés sont des instantanés et sont susceptibles d’évoluer.