L'inflation élevée oblige la BCE à agir

11 mars 2022

Annelore Van Hecke
Senior Macro Economist @Belfius


Véronique Goossens
Chief Economist @Belfius

  • La Banque centrale européenne accélère la suppression progressive de son programme de rachat d’obligations d’État, ce qui ouvre la voie à une hausse des taux plus tard cette année.
  • La décision est tombée hier comme une surprise pour les marchés financiers et a entraîné une augmentation des taux à long terme.
  • Les prévisions d'inflation pour cette année ont également été revues sérieusement à la hausse.

La Banque centrale européenne accélère la suppression progressive de son programme de rachat d’obligations d’État. .
Les achats mensuels vont passer de 40 milliards d’euros en avril à 30 milliards en mai et 20 milliards en juin. Si les perspectives d'inflation à moyen terme ne baissent pas, la banque arrêtera entièrement son programme de rachat au troisième trimestre, ce qui ouvrira la voie à une première hausse des taux au second semestre.

La décision est tombée hier comme une surprise pour les marchés financiers et a entraîné une augmentation des taux à long terme (voir graphique pour la dette décennale belge). En effet, on s'attendait à ce que la BCE reste encore quelque temps dans l'attentisme. La politique monétaire se trouve particulièrement en mauvaise posture, la guerre en Ukraine entraînant tant une augmentation de l’inflation qu'un affaiblissement de la croissance dans la zone euro. La Banque centrale doit juguler l’inflation afin de garantir la stabilité des prix, mais un resserrement de la politique monétaire a également un impact négatif sur la croissance. La prudence est donc de mise. Car, si le conflit avec la Russie s’envenime et s’éternise, le scénario redouté de la stagflation va se pointer à l’horizon.

Mais les prix augmentent trop vite actuellement pour attendre la suite du déroulement de la crise en Ukraine. En février, l’inflation a atteint 5,8% par rapport à il y a un an, ce qui est quasi trois fois plus que l’objectif de 2%. Et les prix poursuivront leur ascension en mars, vu l’explosion des prix du pétrole et du gaz et de produits alimentaires comme le blé. La Banque centrale a dès lors sérieusement augmenté ses prévisions d'inflation à 5,1%. De même, l’inflation structurelle (sans les prix de l’énergie et de l’alimentation) grimperait cette année à 2,6%, ce qui démontre que la flambée des prix de l’énergie se traduit également par une hausse des prix des produits et services dans toute l’économie. Cependant, l’incertitude à propos de ces chiffres est plus grande que jamais. Beaucoup de choses dépendent du déroulement de la guerre, des sanctions économiques, financières et autres et des efforts consentis par les autorités pour adoucir la facture énergétique pour leurs citoyens. Dans deux scénarios alternatifs pessimistes, qui tiennent notamment compte d’une diminution de l’approvisionnement en gaz russe, la BCE prévoit une aggravation de l’inflation à, respectivement, 5,9% et 7,1% cette année.

Mais la présidente Lagarde a également essayé de tranquilliser ses auditeurs. À moyen terme, si les prix de l’énergie se stabilisent, et si les chaînes d'approvisionnement perturbées se rétablissent, la BCE reviendra automatiquement à l’objectif de 2% pour l’inflation dans tous les scénarios. Et, bien que le marché du travail se rétablisse fortement et se resserre de plus en plus dans différents États membres, nous ne pensons provisoirement pas que des hausses salariales puissent enflammer l'inflation via une spirale haussière des salaires-prix. Mais ce qui n’existe pas peut évidemment encore arriver. C’est également pourquoi il est judicieux de d’ores et déjà accélérer la suppression du programme de rachat et d’ouvrir la voie à une première augmentation des taux. La BCE garde provisoirement encore toutes les options ouvertes concernant le timing de cette première hausse des taux. Les marchés financiers tablent à présent sur une hausse des taux de 25 points de base fin octobre.

En ce qui concerne les nouvelles prévisions de croissance, la Banque centrale mise maintenant sur une croissance de 3,7% pour cette année. Il s'agit d'une diminution de 0,5 pour cent point par rapport à ses prévisions de fin décembre. La croissance économique reste donc robuste dans le scénario de base, grâce à la relance de l’économie après la pandémie, à la solidité du marché du travail et à l'atténuation attendue de la problématique de l'approvisionnement.


MMI graph 1 - w9

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