Stagflation en vue?

2 mars 2022

Frank Maet
Senior Macro Economist @Belfius


Véronique Goossens
Chief Economist @Belfius

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  • Avec le lancement de l’offensive contre Kiev, les prix du pétrole et du gaz ont de nouveau fortement augmenté aujourd’hui.
  • Si Poutine ferme le robinet du gaz, nous risquons de nous retrouver dans un scénario de stagflation. Mais ce risque semble relativement petit.
  • En dépit de la hausse de l’inflation, Belfius Strategic Research s’attend à ce que la croissance économique reste supérieure à la tendance en Europe et en Belgique.

Ces derniers jours, les prix du gaz semblaient se calmer après les fortes hausses enregistrées quand la Russie a lancé ses premières bombes sur l’Ukraine. Aujourd'hui, ils atteignent de nouveaux records. Les prix pétroliers ont poursuivi leur ascension ces derniers jours et enregistrent un nouveau sursaut. La Russie est le principal exportateur de gaz du monde et le leader mondial du marché de la livraison de produits pétroliers.

Mais pas moins de 39 pour cent des exportations pétrolières russes arrivent en Europe. 32 pour cent du gaz russe sont acheminés vers l’UE et le Royaume-Uni. La dépendance européenne vis-à-vis du gaz a même augmenté ces dernières années. Ce sont surtout les pays d’Europe de l’Est et l’Allemagne qui dépendent du gaz russe. (graphique)

Le pétrole et le gaz continuent provisoirement à arriver dans l’Union européenne mais qu'arrivera-t-il si Poutine ferme le robinet énergétique ? Contrairement au pétrole, il existe peu d'alternatives à court terme pour remplacer les importations de gaz russe. L’Europe peut, par exemple, importer davantage de gaz liquide (LNG) des USA et du Qatar. Mais ce ne sera pas meilleur marché vu que la demande de LNG est forte en Asie. La BCE a calculé qu'une diminution des importations de gaz de 10 pour cent coûterait 0,7 pour cent de croissance économique à la zone euro. Si la Russie cesse également ses exportations de matières premières, les dommages seront encore plus grands. En effet, le pays est un fournisseur important de nickel, de palladium et de xénon. Ces matières sont utilisées à grand échelle pour la fabrication de catalyseurs et de semi-conducteurs, ce qui pourrait aggraver la pénurie dans le secteur automobile et les autres industries. Cela ouvre la porte à la stagflation, une réalité économique difficile que nous n’avons plus connue depuis les années 70. Dans un scénario de stagflation, les prix continuent à grimper et la croissance économique s’arrête, entraînant une hausse du chômage.

Cependant, il y a peu de risques que la Russie freine son approvisionnement en énergie. Poutine a besoin de ces revenus pour faire la guerre, d'autant plus que les pays occidentaux imposent à présent de lourdes sanctions.

Quoi qu’il arrive, l’économie européenne ressentira le conflit vu que les chocs sur les prix du pétrole, du gaz et de l’électricité vont encore aggraver notre inflation. Avant que la guerre n’éclate, on espérait que cette inflation liée à l’énergie se calmerait au cours de 2022, mais ce scénario est devenu invraisemblable. La rentabilité des entreprises va en pâtir et, par conséquent, leur propension à investir. Le pouvoir d'achat des ménages va de nouveau être rogné.



Par ailleurs, les ménages ont beaucoup de réserves car ils ont fortement épargné ces deux dernières années, ce qui pourrait soutenir la consommation. Après un hiver marqué par des mesures restrictives, les consommateurs vont à nouveau pouvoir sortir et soutenir les secteurs des services touchés, comme l’horeca. En même temps, les gros investissements du EU Recovery Fund arrivent à leur vitesse de croisière, ce qui constitue un support supplémentaire pour l’économie. En outre, l’Allemagne a décidé cette semaine d’augmenter son budget pour la défense de 100 milliards déjà cette année, ce qui constitue une injection considérable dans son économie. Dans notre scénario de base, nous partons de l’hypothèse que la croissance européenne (et belge) restera supérieure à la tendance cette année, bien que l’inflation reste élevée.

Entre-temps, la Banque centrale européenne est confrontée à un dilemme déchirant. Doit-elle rapidement augmenter le taux pour juguler l’augmentation de l’inflation ? Ou bien doit-elle être plus prudente pour ne pas nuire à l’économie ? Ces derniers jours, les marchés financiers pensent que les banques centrales devront agir moins rapidement que ce qu’elles croyaient. Hier, le taux à dix ans allemand s’est effondré, ainsi que le taux des obligations d’État américaines. La BCE dévoilera ses cartes jeudi de la semaine prochaine. La semaine suivante, nous saurons comment la Federal Reserve entend agir.



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